Cartographier le cerveau

Maxime Descoteaux
Département d'informatique, Faculté des sciences, université Sherbrooke
Connectome d'un cerveau humain

Connectome d’un cerveau humain

Avec Maxime Descoteaux, la matière blanche prend les couleurs de l’arc-en-ciel et le cerveau devient un enchevêtrement sophistiqué de fibres nerveuses. Il est le traiteur d’image qui lit dans la diffusion de l’eau pour nous révéler les chemins de notre intellect. Le mathématicien qui met la pédale au plancher sur les autoroutes cérébrales.

Pourquoi visualiser la matière blanche

Le domaine médical a grandement bénéficié des techniques d’imagerie pour mieux diagnostiquer les dysfonctions du corps humain. Toutes sortes de signaux, tels que des ultrasons, des rayons X, etc., sont maintenant utilisés pour construire des images de ce qui est invisible à l’œil nu. Il en va de même pour ce qui se cache dans notre boîte crânienne qu’on visualise principalement par la technique d’imagerie par résonnance magnétique (IRM).

L’IRM capte les signaux magnétiques produits par les atomes d’hydrogène de l’eau qui se trouve dans le tissu nerveux. De cette technique dérive l’IRM de diffusion (IRMd) qui mesure la diffusion des molécules d’eau dans différentes directions. Puisque le déplacement des molécules d’eau est contraint par la structure du tissu, l’IRMd permet de visualiser les fibres nerveuses. Jusqu’à tout récemment, cet examen prenait beaucoup de temps. Or, grâce à des astuces mathématiques, Maxime Descoteaux a accéléré la vitesse de traitement des images issues de l’IRMd à seulement 10-20 minutes sans en altérer la qualité.

Le cerveau est constitué de matière grise, composée des corps cellulaires des neurones, et de matière blanche, composée des axones des neurones aussi appelés fibres. Les signaux générés au corps cellulaire se propagent dans l’axone jusqu’aux terminaisons nerveuses où ils seront transmis à d’autres neurones. Les fibres s’apparentent donc à des câbles reliant les différentes régions du cerveau permettant aux neurones de communiquer entre eux. Déterminer les interconnexions entre les centres nerveux est donc nécessaire à l’élucidation des fonctions cérébrales.

Fibres d'une tumeur

Fibres d’une tumeur

Comme l’IRMd est une technique non invasive, elle peut servir à l’étude du développement de l’architecture du cerveau de la naissance à l’âge adulte sans danger. Elle permet aussi de détecter quand les voies de communication sont endommagées, ce qui est un signe avant-coureur de plusieurs maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques, la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson. Finalement, elle peut aider les médecins à faire un bilan préopératoire de tumeurs cérébrales et des chirurgies plus précises. En effet, une telle tumeur peut bloquer le passage des fibres, les bifurquer et de nouvelles connections peuvent se remodeler autour de la masse. Une meilleure visualisation en trois dimensions de toutes ces connexions qui viennent vers la tumeur et projettent vers toutes les autres régions du cerveau permet ainsi de cerner que les zones affectées afin d’éviter de sacrifier les neurones viables lors de la chirurgie. On peut donc dire que le travail de Maxime Descoteaux a permis de jeter un pont entre la recherche mathématique et informatique des techniques d’imagerie et leur application sur le plan biomédical en clinique. Aujourd’hui, des spécialistes de partout dans le monde utilisent maintenant sa méthode dans les hôpitaux.

 

Comment traiter les données

Le travail de l’équipe de recherche de Maxime Descoteaux consiste en la reconstruction virtuelle des fibres nerveuses en 3D. D’abord, dans chaque 2 mm cube de cerveau (voxel), le signal mesuré par l’IMRd est utilisé pour calculer l’intensité de la diffusion des molécules d’eau dans plusieurs directions. Ensuite, pour chaque voxel, on estime la direction principale de la diffusion de l’eau qui correspondrait le mieux à l’orientation des fibres nerveuses contenues dans le voxel.

Les deux grandes familles de méthodes utilisées à cet effet sont les tenseurs de diffusion et l’imagerie de diffusion de haute résolution angulaire (HARDI). Le problème avec les tenseurs de diffusion, c’est qu’ils reposent sur l’hypothèse qu’un seul faisceau de fibres traverse un voxel alors que chacun peut contenir un demi-million de fibres qui s’entrecroisent. Les méthodes HARDI quant à elles, permettent la reconstruction des croisements de fibres au sein d’un voxel, mais demandent la mesure de plus de 30 directions ce qui allonge substantiellement le temps d’acquisition des signaux. Heureusement, le choix d’une stratégie d’échantillonnage astucieuse peut alléger ce problème. Ainsi, au lieu d’échantillonner l’intégrité du voxel dans une grille cartésienne de 500 points, on peut mesurer une cinquantaine de points à la surface de sphères emboîtées les unes dans les autres. Cette reconstruction analytique représente de nombreux avantages. Elle est jusqu’à 15 fois plus rapide, améliore la résolution angulaire de plus de 15 fois et minimise les effets causés par le bruit.

mdescoteauxdecontrackMaxime Descoteaux propose d’appliquer cette méthode de déconvolution sphérique aux signaux de diffusion des molécules d’eau pour obtenir une estimation de la fonction de distribution des orientations de fibres (fODF). À partir de l’information angulaire de ces estimations locales, les algorithmes de tractographie produisent des courbes 3D connectant deux voxels. La méthode de tractographie déterministe, basée sur l’utilisation des maxima de la fODF, est ainsi un moyen facile et efficace pour se faire une idée des voies empruntées par les fibres, à partir de quelques points de départ seulement. Les croisements de fibres sont révélés aux endroits présentant plusieurs maxima qui amènent le suivi des fibres à se diviser. L’équipe de Maxime Descoteaux conclue donc que l’ODF de fibres améliore grandement les résultats de la tractographie dans des régions complexes présentant des embranchements de faisceaux de fibres.

Jusqu’à tout récemment, en regardant la carte des voies nerveuses sillonnant notre cerveau, on ne voyait que les grandes autoroutes reliant les aires cérébrales, mais pas les petites routes secondaires qui les croisent. Maintenant grâce à la méthode de déconvolution sphérique et aux algorithmes de tractographie développés par Maxime Descoteaux, on a une représentation visuelle plus fine et plus rapide de la matière blanche du cerveau. Cette connaissance croissante de la connectivité nous aidera sans nul doute à élucider l’harmonie de ce réseau de neurones qu’est notre cerveau.

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