Bloquer la serrure pour fermer la porte de la COVID-19

Le professeur Nicolas Moitessier utilise une métaphore simple pour expliquer ses travaux de recherche : il cherche une clé pour bloquer une serrure. Cette quête a fait de son laboratoire de chimie à l’Université McGill un rouage essentiel de la recherche mondiale contre le SARS-COV-2, le virus responsable de la COVID-19.

Une enzyme est une molécule très longue et complexe repliée sur elles-mêmes, lui donnant une forme spécifique. Des trous dans la structure, les « serrures », permettent à d’autres molécules de s’attacher et d’activer les fonctions de l’enzyme.

Le SARS-COV-2 se réplique à l’aide de deux enzymes (3CL et PL protéase). Empêcher ces enzymes de remplir leurs fonctions nécessaires à la réplication du virus, préviendrait donc sa propagation. Un médicament antiviral avec cette capacité pourrait servir de traitement auprès de personnes déjà atteintes de la COVID-19.

« La serrure, c’est l’enzyme , continue-t-il. On va essayer de trouver une clé pour pouvoir bloquer la serrure, ce qui aura pour effet de bloquer l’enzyme ».

Cette stratégie ingénieuse est loins d’être simple car des milliards de clés possibles existent, dont quelques-unes seulement seraient sécuritaires pour les humains. Heureusement, les chercheurs en chimie organique et en informatique du groupe de Nicolas Moitessier utilisent des logiciels spécialisés capables de trier des quantités incroyables de composés moléculaires potentiels.


À l’époque où les chimistes n’avaient pas encore accès aux outils informatiques de pointe, la sélection d’une série de molécules relevait de l’estimation éclairée. « On les dessinait au tableau, on les synthétisait puis on les testait sur les enzymes. Si la série ne marchait pas, on redessinait les molécules et l’on essayait une seconde fois, une troisième et ainsi de suite. Si elle ne fonctionnait toujours pas, on repartait à zéro avec une nouvelle série ».

Le groupe de Nicolas Moitessier passe aujourd’hui toute cette information au crible à l’aide des puissants superordinateurs de Calcul Québec et Calcul Canada. « Avant, ça prenait des milliers d’essais [en laboratoire] », raconte Moitessier.


L’important, insiste Moitessier, « c’est l’intégration de la chimie et de l’informatique ». En arrivant à McGill en 2003, le potentiel de la chimie computationnelle, qui utilise la programmation informatique pour créer des modèles de composés organiques en trois dimensions, l’avait impressionné. Il s’est plongé dans l’étude de ce domaine, voulant l’adapter à son travail.

Avec un étudiant gradué, il a fini par fonder Molecular Forecaster. La compagnie produit des logiciels qui prédisent l’activité de molécules et leurs impacts sur les humains. « Ça fait 15 ans que je développe cette technologie », précise Moitessier.

Les programmes permettent de réduire le nombre de molécules candidates à une échelle gérable. Par la suite, « on les modifie virtuellement, pas à pas, jusqu’à ce qu’on soit satisfait , explique Moitessier. Les chercheurs éliminent ensuite les molécules qui, selon eux, n’auront pas l’effet désiré. Ils essaient ensuite différentes configurations des molécules restantes pour qu’elles s’attachent mieux aux enzymes.

L’équipe veut également savoir si les molécules réagissent différemment d’un humain à l’autre. Les simulations évaluent les réactions des molécules avec le plus de protéines possible pour voir si elles posent un danger pour certaines personnes. « Est-ce qu’elles seront toxiques pour le foie ou engendrer des cas de toxicité cardiaque ? » ajoute Moitessier.

La tâche est loin d’être terminée. Après avoir effectué autant de simulations que nécessaire, les meilleures molécules doivent être synthétisées. Bien que le triage et la modélisation tridimensionnelle puissent être accomplis à distance, il faut des chimistes en laboratoire pour cette étape.

Les molécules produites sont ensuite envoyées au laboratoire d’Anthony Mittermaier, un autre professeur de chimie à McGill, qui les teste contre les enzymes. « On a des expertises complémentaires et c’est pour ça qu’on s’est mis en équipe », précise Moitessier.

S’ils réussissent à trouver des molécules qui fonctionnent comme désiré, elles seront envoyées à un laboratoire de virologie à McGill qui vérifiera leur effet sur le virus même. Après, il faudra les passer par des essais précliniques et finalement par des essais cliniques sur des humains. Somme tout, le processus qui mène à ces étapes pourrait prendre jusqu’à un an et demi.


Bien qu’ils soient encore loin de produire un traitement fonctionnel contre la COVID-19, le calcul informatique de pointe permet à l’équipe de Moitessier de tester une quantité de possibilités quasi inimaginable il y a quelques décennies.

« Tester cent mille ou quelques millions de molécules [expérimentalement] coûterait une fortune », dit Moitessier. « Avec les simulations, le temps est très réduit et ça ne coûte pas grand-chose ».


Une chance, l’arrivée potentielle d’une possible deuxième vague de la pandémie sous-entend que tout temps gagné est précieux.

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